J'avais remarqué un fil qui venait du toit et entrait dans la maison. Je me suis écrié : pour la première fois de ma vie, je vais habiter dans une maison avec l'électricité. C'est le soir venu, dans la même obscurité toujours, troublée par la lampe à pétrole qu'on va m'expliquer que ce fil n'était pas du courant électrique, mais un fil de fer pour tenir le toit et le coller à la maison pour éviter qu'il soit emporté par la tornade. Quelle déception de l'apprendre ! Et moi qui croyais à une évolution, et que j'étais passé des maison en "Carabotte" (un bois pauvre), de la ville, à la maison en dur du village, je vais aussi découvrir que la maison que croyais être en dur était en fait des briques de terre crue, juste recouverte d'une fine couche de ciment. Un vrai cache-misère. Je regardais ma maman qui grâce à son commerce de vin de raphia était déjà mieux que les autres habitants de Kekem, mais elle restait pauvre et donc, je ne pouvais pas compter sur elle pour la suite. Mais ici, le fait d'avoir touché le fond et d'avoir été un enfant de rue en ville me donnait un certain avantage sur les autres au village. Je savais qu'il y a mieux dans la vie, je savais qu'il y avait autre chose dans la vie, donc mes aspirations, mes rêves étaient au dessus de tous les autres habitants qui n'avaient pour seule vérité que leur vie du village. Je savais aussi que ce qui fait la différence entre les humains n'est pas seulement le montant d'argent qu'ils arrivent à gagner, mais aussi et surtout ce qu'ils arrivent à économiser pour construire et réaliser leurs rêves. J'étais convaincu d'une chose : je suis né pauvre à cause de mes parents et si je meurs pauvre, ce sera ma propre faute à moi. Si je porte un prénom à la con de Jean-Paul pour rendre hommage aux bourreaux qui ont rendu esclaves mes ancêtres, c'était parce que mes parents qui me l'ont donné étaient eux-mêmes des abrutis, mais si je donnais moi-même un tel prénom à mes propres enfants dans l'avenir, cela aurait signifié que c'était moi qui étais resté doublement un vrai abrutis malgré mes longues études. Voilà pourquoi, je devais tout faire pour ne pas ressembler à ceux qui m'ont mis au monde, puisque s'ils étaient restés pauvres, c'était bien la preuve qu'ils avaient un jour ou l'autre fait une fatale erreur de jugement qui les avait portés sur la mauvaise voie, celle de la pauvreté. A 12 ans, ce n'était pas facile de trouver mon propre espace de vie en continuant dans la remontée de mes études par la mise à journée musclée de mon maître et sauveur, un certain Mr. Paul.