Nous sommes en 2003, je reçois à Turin, un courrier signé par l'Attaché Commercial de l'Ambassade d'Italie à Yaoundé. Il m'invite à participer comme exposant à une foire qui se déroule 2 ans après, en 2005 dans la capitale camerounaise dénommée "PROMOTE" organisée par un homme d'affaires suisse. Cette dernière information me pousse à lui répondre que cela ne m'intéresse pas. Il m'écrit un deuxième courrier dans lequel il m'explique que ce que je fais peut être très important pour faire démarrer un vrai tissus agro-industriel dans mon pays. Je lui réponds que la plus petite de mes machines coûte 25.000 € (16.000.000 FCFA) Il n'y avait pas beaucoup de micro-entreprises au Cameroun dans ce secteur capable de payer ce chiffre surtout que presque toutes les plus grandes entreprises multinationales du secteur agroalimentaire installées au Cameroun étaient déjà mes clientes. Des mois passent. Je croyais le sujet clos. Un matin, je reçois un appel en provenance du Cameroun. C'était toujours l'attaché commercial qui avait réuni de nouveaux arguments pour tenter de me convaincre. Cette fois-ci, il avait changé d'argumentaire. "Le Cameroun est ton pays et non le mien" débute-t-il. "C'est très bien que tu installes tes machines dans les usines du monde entier, et dans les plus grands entreprises multinationales de ton pays, mais t'es-tu demandé ce que tu as fait pour les Camerounais ? Est-ce que tu ne sais pas que ta seule présence ici sera l'objet de rêve et d'espoir pour de très nombreux jeunes qui cherchent et ont besoin des références locales pour grandir fiers d'eux-mêmes ?" Oui, il m'avait convaincu. Je serai à Promote 2005 comme exposant. Avant d'arriver au Cameroun, mon interlocuteur italien me dit que je n'ai pas besoin de réserver une chambre d’hôtel parce qu'il se serait chargé de tout cela lui-même. Chose dite, chose faite. Il va me loger dans un Hotel au quartier Bastos, entre la foire et l'Ambassade d'Italie. Et c'est chaque matin qu'il venait lui même me chercher pour me conduire au Palais des Congrès où se déroulait l'exposition Promote, non sans me lancer une phrase curieuse : "tu nous es très précieux". Qu'est-ce que cela voulait dire ? C'est l'Ambassadeur d'Italie lui même en visite à notre emplacement appelée : "Pavillon ITALIE" qui va me fournir la réponse. Il dira à nous les 9 exposants venus d'Italie et en langue italienne ceci : "I francesi sono 120 e noi solo 9, ma noi abiamo 3 Camerunesi di cui un industriale et loro, nessun camerunese vivendo in Francia. E' la prova che non sono riusciti a formare imprenditori camerunesi capaci di accompanargrli qui. Gli sfido di mostrarmi, un solo camerunese industriale in Francia." Le diplomate italien était fier de nous rassurer que même si nous n'étions que 9 entreprises au Pavillon Italie, nous étions beaucoup mieux que les 120 exposants venus de France pour alimenter le "Pavillon France". Selon lui, c'était la preuve que le système italien était mieux pour les camerounais que le système français pour faire émerger des talents de patrons. A la faveur de sa théorie, il nous faisait remarquer que sur les 120 exposants du Pavillon France, il n'y avait aucun entrepreneur camerounais vivant en France. Et pariais sur le fait qu'il n'existe aucun industriel camerounais formé par la France et ,installé sur le sol français, tel que je l'étais moi pour l'Italie. C'est cette ligne et ce discours que le personnel du stand de l'Ambassade d'Italie dans notre pavillon allait marteler durant toute la foire à tous les visiteurs camerounais, à savoir : " En Italie, il n'y a pas beaucoup de camerounais comme en France, mais le fait qu'il y a 3 entrepreneurs camerounais sur 9 du pavillon alors que du coté des français c'est 0 sur 120, montre que l'Italie est un pays où les camerounais peuvent former leurs entrepreneurs plus facilement qu'en France". J'ai ainsi compris pourquoi j'avais été tant chouchouté depuis mon arrivée : parce que j'étais la Mascotte pour la promotion du savoir faire italien aux camerounais. Mon stand était constamment bondé de monde et le diplomate, Attaché commercial de me lancer le même refrain plusieurs fois par jour : "Je t'avais dit que tu faisais bien de venir". Il avait effectivement raison : plusieurs camerounais voulaient se lancer dans agro-industrie, mais pêchaient presque tous dans des fautes élémentaires. Et la plupart repartaient de mon stand en sautant de joie, pour les quelques conseils que je leur avais fournis. Presque tous me regardais très surpris, lorsque je leur disais que l'industrie n'avait rien de compliqué et surtout que moi-même j'étais un ancien Pousseur. Comme prévu, je n'ai pas vendu beaucoup de machines à cette foire. Mais avant de rentrer en Italie, j'avais tenu à remercier le diplomate italien d'avoir insisté pour me faire participer à cette foire. Parce qu'il m'avait permis de comprendre une leçon capitale : Vous n'êtes personne, lorsque vous vous contentez de réussir chez les autres et complètement absent chez vous. Mais surtout, j'ai pu réaliser à quel point j'étais formaté pour oublier la grande dette que j'avais envers ce pays qui s'était endetté pour me faire étudier jusqu'au Baccalauréat, pour me vacciner etc. Expliquer pendant toute la foire à ces nombreux camerounais ce qu'il fallait faire et surtout, ce qu'il ne fallait pas faire a été pour moi comme un déclic pour le début du remboursement de ma dette avec mon pays.
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