A maintes reprises, nos intellectuels africains tentent d’atténuer la réalité tragique de notre continent à travers des slogans et des récits enjolivés. Sous prétexte de vouloir corriger les discours pessimistes au sujet de l’avenir de l’Afrique, ils répandent des mythes et des faux espoirs qui finissent par induire notre peuple en erreur.                        « L’Afrique va gagner ! » « L’Afrique va devenir riche ! » « C’est au tour de l’Afrique ! » Quel Africain refuserait de se laisser tenter par des phrases aussi séduisantes ? Quiconque pense autrement est considéré au mieux comme un pessimiste, au pire comme un traitre. En effet, qu’il y a-t-il de mal à avoir de l’espoir en notre avenir, à souhaiter qu’après tant de douleur, nous puissions enfin voir des jours meilleurs ? Le problème n’est pas l’espoir en soi. Le problème, ce sont les soi-disant Africains révolutionnaires qui ont déguisé l’idéalisme en optimisme révolutionnaire. L’idéalisme est un cadre de pensée selon lequel le monde est construit par les idées et les croyances des gens qui le composent. Ainsi le fonctionnement du monde et le développement historique est perçu dépendamment de ce que nous en pensons. Le politologue Glenn Diesen écrit que l’idéalisme perçoit le monde comme on aimerait qu’il le soit, et non pas comme il l’est vraiment. Appliqué au contexte moderne de la lutte africaine pour l’émancipation, on observe que la pensée idéaliste domine aujourd’hui les espaces activistes et intellectuels panafricains. En conséquence, les Africains conçoivent leur lutte de libération en fonction de ce qu’ils voudraient que la réalité soit, et non de ce qu’elle est vraiment. Par conséquent, ils sont aveugles à la lutte de pouvoir qui façonne actuellement le monde et se retrouvent incapables de s’y préparer de manière adéquate. Prenons comme exemple deux pensées idéalistes populaires. 1.« L’Afrique est vouée à réussir » Si elle n’est pas énoncée directement dans des slogans ou discours activistes, alors on retrouve cette façon de pensée dissimulée dans les actions politiques de nos gouvernements. C’est l’idée que « l’heure de l’Afrique a sonné », et qui considère la conscientisation politique croissante de la jeunesse africaine comme un signe indéniable que les pays africains seront éventuellement, probablement bientôt, libérés de l’asservissement occidental. Cependant, les Africains idéalistes ne voient pas plus loin que cette conscientisation. Ils utilisent les mots « lutte », « libération », « émancipation », et parfois même « révolution », mais les détails de cette lutte restent vagues et obscurs. A travers des discours soi-disant anti-coloniaux, ils attisent l’enthousiasme et la colère des masses, mais ne dirigent jamais ces émotions vers un but spécifique. Ils agissent comme si insulter tel président français ou tel premier ministre britannique pouvait en soit constituer un élément de lutte. Mais si nous tentions de leur demander : comment restructurer l’ancienne économie coloniale afin de subvenir aux besoins de nos populations ? Vers quelles industries les pays Africains doivent-ils se tourner afin d’acquérir l’avantage comparatif dont parlait Adam Smith et rentrer dans la compétition internationale ? Comment résister aux éventuelles contre-attaques de nos rivaux sur la scène internationale ? Il faudrait attendre longtemps avant d’obtenir une réponse. L’idéalisme perd son sens lorsqu’il est confronté à la réalité matérielle du monde. C’est un cadre de pensée qui ne tient pas en compte du fait qu’il existe une réalité objective au-delà de nos croyances. Ce n’est pas parce que des milliers voire même des millions d’Africains remplissent les rues dans l’espoir de jours meilleurs que ces jours meilleurs viendront. Parallèlement, même les meilleures intentions de nos dirigeants ne se traduiront pas nécessairement en bonnes politiques. Même les plus honorables actions peuvent conduire à des conséquences dramatiques si elles ne sont pas correctement réfléchies. Dans l’Empire britannique, les révoltes des esclaves aux Antilles furent nombreuses et ne firent qu’augmenter en nombre et en intensité au fur et à mesure du XIXème siècle. Des centaines et parfois des milliers d’esclaves, qui n’avaient rien à perdre mise à part leur liberté, qui surpassaient leurs maîtres en nombres, ont tout donné pour obtenir leur liberté et laisser derrière eux les lourdes chaînes de l’esclavage. Pourtant, si l’esclavage est aboli dans les colonies britanniques en 1833, c’est surtout suite aux protestations des capitalistes britanniques pour qui le monopole du sucre des Antilles freinait leurs profits. Cela signifie-t-il que ces esclaves n’étaient pas suffisamment dévoués à leur cause pour vaincre ? Non ! Le fait est qu’aucune révolution, aussi juste et honorable soit-elle, n’est vouée à réussir.  La volonté même la plus noble des révolutionnaires sera toujours confrontée aux pires déchaînements réactionnaires, s’établissant une lutte impitoyable dont seul un peut triompher. Il nous faut croire en la capacité de l’Afrique à réussir, cependant, il ne faut pas prendre cette réussite comme un acquis, comme un dénouement naturel de l’histoire. La lutte n’est pas simplement faite de slogans ou de marches politiques, mais de stratégies concrètes permettant l’émancipation entière du continent.
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