Je vivais au milieu d'une foule de gens, de familiers, de voisins et de camarades du collège, mais j'étais aussi conscient du fait que personne d'eux n'avait ni mon type de problème, ni mon temps et donc, personne ne pouvait se mettre à ma place pour comprendre le drame existentiel qui m'accablait dans mon adolescence meurtrie, de désert humain. Tous les soirs, je prenais entre 10 à 30 minutes pour parler à moi-même et rendre compte par écrit de mes sentiments pour la journée. La vie était très dure et je ne voyais toujours pas comment ma situation se serait améliorée. Parler à moi-même dans un journal intime était pour moi, une manière peut-être infantile de neutraliser ma douleur, mes souffrances et toute la tristesse de la vie. Je me rendais compte jour après jour de l'impuissance de ma mère trop pauvre, de m'aider à prendre le train de la modernité et de l'évolution qui s'offrait à moi sous forme de la compétition éducative et scolaire. Et comme je lisais beaucoup, c'était l'occasion de mettre par écrit les meilleurs citations que j'avais retenues des livres lus. Et surtout, vue ma situation de pauvre, je devais aussi inventer mes propres citations dont l'objectif était de me consoler de mon état d'indigence économique et surtout pour me donner du courage. Une fois arrivé au Lycée Technique de Douala Koumassi, en septembre 1980, après avoir pris connaissance de la photographie, j'ai commencé à tenir un deuxième journal intime, cette fois-ci accompagné des photos, de mes photos ou de celles de mes camarades du lycée traduisant mon état d'esprit du jour en question.